Éric Tessier a vivement réagi sur les réseaux sociaux au (6) - Pauvre, attribué par Mediafilm à la comédie d’horreur We Are Zombies. Est-ce que le cinéma de genre est incompris par la critique ? Discussion avec le réalisateur et la productrice Anne-Marie Gélinas (Mars & Avril, Turbo Kid, Slaxx).
Le duo présentait le projet Flots, une transposition au grand écran du roman éponyme de Patrick Sénécal, dans le cadre du Marché Frontières. Une occasion parfaite pour parler films de genre avec deux fans, et en apprendre un peu plus sur cette adaptation à venir.
Le tout en 7 questions :
Vous avez commenté la cote de We Are Zombies sur nos réseaux sociaux en affirmant que vous n’en pouviez plus de «ce regard prétentieux sur le cinéma de genre». Selon vous, sommes-nous passés à côté de quelque chose à propos de ce film ?
Éric Tessier. J’ai trouvé que c’était, dans le genre, très réussi. Le film était super bien rythmé. Il demeure dans l’univers des RKSS. Ce qu’ils sont parvenus à créer avec le budget qu’ils avaient est impressionnant. Ça ne réinvente absolument rien, mais c’est tout à fait honnête et authentique dans ce que c’est. Pour moi, ça ne mérite pas un (6). Un (4) ou (5) peut-être ? Il y a une condescendance face au cinéma de genre au Québec. On aurait besoin de se décomplexer. C’est correct de faire des films ludiques et de ne pas réinventer le cinéma sans qu’à chaque fois ça donne un (6) ou un (7).
Est-ce que cette condescendance provient uniquement de la critique ?
Anne-Marie Gélinas. La prémisse de We Are Zombies est exprimée dès le début. On sait exactement dans quoi on s’embarque. Et le film livre la marchandise jusqu’à la fin. Quand j’ai sorti Méchant party, mon premier film de genre, j’avais l’impression qu’on le comparait à un film de Bergman. J’ai appris à analyser le cinéma avec Marc Gervais, professeur en communication et père jésuite. On étudiait les films westerns. Et devant moi, féministe, il avait son défi de l’année : me faire apprécier un western. Car, même si, personnellement, on peut être brusqué par ces hommes toxiques, le film répond à ses intentions et ses codes. Il est conséquent avec lui-même.
Qu’est-ce qui manque alors à la critique pour qu’elle apprécie davantage le cinéma de genre ?
Anne-Marie Gélinas. Quand on a sorti Turbo Kid, en 2015, j’ai demandé au distributeur d’investir un montant de la promotion pour amener un journaliste québécois au BIFFF [Brussels International Fantastic Film Festival]. Il nous a accompagnés et a vu ce qui s’est produit dans la salle quand le film a été présenté. Et le public du BIFFF est dur à convaincre. Mais le party a pris dans la salle. J’étais contente que le journaliste ait été témoin de ça.
Éric Tessier. Il faut aller vivre ce qui se passe dans une projection à Fantasia. Toute la salle au grand complet est transportée. Il n’y a aucun autre genre de cinéma qui réussit à faire ça.
Est-ce que le grand public peut être interpellé par ce type de cinéma ?
Éric Tessier. Le genre permet parfois, par pudeur, de toucher à des thèmes qu’on n’aimerait pas aborder autrement. Et on a le droit d’être divertis. Les drames, c’est bien, mais c’est aussi le fun d’aller ailleurs et d’extrapoler.
Anne-Marie Gélinas. C’est ce que j’aime du film de genre. On traite de sujets de société tout en se permettant d’avoir un public. Monsieur et madame tout-le-monde, le vendredi soir, ont travaillé toute la semaine. Ils n’ont pas nécessairement envie d’aller voir un drame.
Qu’en est-il des institutions ? Il semble que le travail de sensibilisation au cinéma de genre se fasse depuis plusieurs années, mais le financement accordé à ces propositions demeure assez limité.
Anne-Marie Gélinas. Ça a beaucoup changé, mais je trouve encore, dans les institutions, qu’on demeure dans un carcan. Il faut que notre personnage principal ait un arc émotionnel et qu’à la fin, tout soit réglé. C’est une façon d’écrire un film. Il y en a plein d’autres. On nous dit souvent que les meilleurs films se trouvent dans la tension entre ce que le personnage veut et ce dont il a vraiment besoin. Ça fait en sorte qu’on fait souvent les mêmes films. Les personnages, à la fin du film, n’ont pas besoin d’être punis pour ce qu’ils ont fait. Dans la vraie vie, combien de méchantes personnes ont payé pour leurs crimes ?
D’ailleurs Flots, votre première collaboration, est actuellement en développement et raconte l’histoire d’une fillette qui est loin d’être blanche comme neige. Qu’est-ce que vous pouvez nous en dire ?
Éric Tessier. C’est l’histoire d’une petite fille, décalée de la réalité, avec sa propre façon de percevoir la vie, qui n’est pas la bonne. C’est un jeu que j’ai envie de jouer avec le spectateur : on suit un personnage qu’on apprend à apprécier. Tout à coup, on s’aperçoit que ce qu’elle fait n’a pas de bon sens. J’aimerais parvenir à mettre le spectateur dans un état d’inconfort par rapport à sa propre perception du personnage.
Il s’agit de votre troisième adaptation d’un roman de Patrick Sénécal après Sur le seuil et 5150, rue des Ormes. Pourquoi revenir à cet auteur ?
Éric Tessier. Il y a deux ans, j’ai réalisé le film The Amityville Curse et je me suis souvenu du plaisir que j’éprouvais à plonger dans ce type d’univers. Ça fait longtemps que je n’ai pas touché à l’horreur et je me suis retrouvé à lire l’avant-dernier livre de Patrick. Je trouvais que le récit résonnait beaucoup avec ce qui se passe aujourd’hui : ça se passe dans un contexte pré-pandémique, il y a un personnage survivaliste/complotiste, ça parle de violence conjugale, etc. Et dans le cinéma d’horreur, les enfants sont souvent les vecteurs du démon, des vampires ou encore possédés par une force surnaturelle. Là, c’est une petite fille comme les autres.
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